« Aimez le chocolat à fond, sans complexe ni fausse honte car, rappelez-vous: «sans un grain de folie, il n’est point d’homme raisonnable».
(François, duc de La Rochefoucauld)
Les stridulations nocturnes et les courses effrénées des geckos dans le bungalow ont laissé la place au piaillement affamé des oisillons, mélangé avec les réponses rassurantes de leurs parents. 5h30. L’aube. Il faut dire qu’il n’y pas de vitres sur les fenêtres à l’exception de la porte. Les trois côtés sont protégés par des volets en bois, grilles et moustiquaires, ainsi la brise légère de l’océan peut se promener à l’intérieur – une sorte de climatisation naturelle. Dehors –dedans. Nous avons la vue sur l’océan même depuis la salle de bain. Une merveille ! Devant le bungalow un acacia géant se penche dans le vide et avant de plonger dans l’océan, l’œil se pose sur la canopée de la forêt luxuriante équatoriale.
Est-ce que j’ai vous ai dit déjà que c’est un paradis pour les ornithologues? Ici, les milans planent dans le ciel en poussant des cris étirés et stridents, un phaéton blanc très gracieux se mêle parfois à leur chasse. Un couple d’inséparables verts à tête rouge se querelle sur l’acacia. Les tourtereaux s’inquiètent. Parmi cette foule en plume, il y en a un que j’ai surnommé « 911 » (le numéro d’urgence aux Etats-Unis). Petit, il accompagne son apparition par un claquement de queue, comme si on claque des mains, en criant « feu ! feu ! feu ! » Impossible de manquer sa présence. Durant tout notre séjour nous avons observé un superbe euplect monseigneur et gâté avec des miettes les curieux et minuscules cordons bleus d’Angola, sans parler du martin pêcheur d’Afrique ou du serin du Mozambique. Ce n’est qu’une petite partie identifiée sur place. On nous a raconté qu’un ornithologue a compté 18 espèces différentes juste en étant assis sur la terrasse un après-midi. Bref, il y a de quoi faire, même en lézardant.
Le premier jour j’ai attrapé un tic japonais. J’ai photographié tout ce que je voyais, submergée par les émotions enfantines : les fleurs de bananier, l’arbre de cacao, une touffe piquant de sisal, un frangipanier, des cactus, un étonnant cabaça, même une vulgaire aubergine…. La plupart des arbres et arbustes d’ailleurs, sont numérotés et si vous êtes curieux, vous pouvez vous promener avec un catalogue qui est disponible à la réception, pour assouvir votre curiosité.
Nous avons passé notre première journée dans la capitale qui porte le même nom que l’île. On y trouve encore des restes de l’architecture coloniale portugaise. C’est beau mais en très mauvais état. A vrai dire, les vestiges d’époque coloniale, comme un débarcadère en ruine ou des bâtiments des roças abandonnés, se pointent un peu partout sur l’île. Les maisons sur pilotis se mélangent avec des boites en béton et baraques en tôle. Souvent ce sont des constructions de fortune, des abris… Nous sommes au nord de l’île et pour atteindre la capitale, traversons des villages Nevès – Guadalupe – Condé. La vie est dans la rue. Sur la route du village, un pêle-mêle de taxis, chariots, chèvres, chiens, mobylettes, hommes, femmes, enfants. Toute la journée on voit des écoliers en uniforme, éparpillés sur les bords. Le va et vient vers l’école. Les plus petits, les fesses à l’air, nous adressent les joyeux « Holà ! » depuis les ruisseaux où leurs mères lavent le linge. Celui-ci en patchwork coloré longe le bord de la route. C’est pauvre mais joyeux. La précarité et la vie dure ne semblent pas entamer la gentillesse des riverains. Cependant, les incontournables machettes dans les mains des hommes nous inspirent la prudence. J’évite de les prendre en photo même si je meurs d’envie tellement ils sont authentiques et vrais.
A propos des roças. C’est un système de plantation agricole basé sur la servitude et, après l’abolition de l’esclavage, sur un contrat du travail. La roça était gérée exclusivement par un maître et fonctionnait en autarcie parfaite. La liaison avec le monde extérieur était assurée par un petit chemin de fer via lequel les produits cultivés étaient acheminés vers le port et exportés. La fin de la colonisation et le départ des Portugais en 1975, qui ont repris avec eux le savoir-faire et surtout la base technique et matérielle, entamèrent le déclin des roças. Peu nombreuses sont celles qui ont survécu jusqu’à nos jours. Les agences locales de tourisme proposent des visites énigmatiques de roças perdues. Nous ne l’avons pas fait faute d’équipement pour la randonnée en forêt équatoriale. La prochaine fois. C’est promis.
Claudio Corallo – maestro chocolat.
Il y a une chose à faire dans la ville. Je dirais même que c’est incontournable. C’est la visite de la fabrique de chocolat de Claudio Corallo, le Maestro d’Arte e Mestiere. C’est un italien fou de perfection et passionné par le chocolat et le café. Depuis 25 ans, il essaye de faire renaître cette culture ancestrale de Sao Tomé- et -Principe. Arrivé sur l’île dans les l’année 90, il défrichait et replantait le cacao à Principe.
Travail titanesque, si on pense à la force de la nature équatoriale où tout pousse en un clin d’œil. Son chocolat a été récompensé plusieurs fois et il est considéré comme l’un des meilleurs au monde. Un chocolat très particulier pour notre goût, déformé par la production industrielle trop sucrée ou avec une amertume dominante. Pour Claudio Corallo l’amertume de la fève n’est pas dans sa nature; il la considère comme un défaut mais un défaut de transformation. D’après lui, elle réside dans l’écorce de la fève et dans sa graine (elle est à l’intérieur – une minuscule tige noire d’à peine 3 mm). De ce fait, les fèves sont décortiquées et travaillées pour garder uniquement le corps. Le procédé est manuel et coûteux. Il faut dire que la plupart du travail de fabrication est manuel.
28° C – la température idéale pour déguster le chocolat. A 20° C il ne dévoile que 40% de ses saveurs. C’est expliqué ici.
Sans rentrer dans les détails, une chose qui distingue le chocolat de Maestro – les ingrédients comme le sucre, le gingembre, les éclats de fève, l’écorce d’orange confite ou le poivre & sel, ne dépassent pas 30%. La place principale (70%) est donnée au chocolat. Son chocolat est authentique, avec des saveurs équilibrées, harmonieuses et surprenantes. Pour moi, c’est un retour à l’essentiel – le goût sans agressivité, sans sucre dominant. Vous pouvez tout trouver sur le beau site multilingue de Claudio Corallo (www.claudiocorallo.com). C’est passionnant !
L’autre folie de cet homme – le café. Il cultive 3 variétés d’Arabica ainsi qu’une variété rare et oubliée appelée Liberica. Elle a été abandonnée par la production de masse à cause de son faible rendement – 50 kg/ha contre 1000 kg/ha pour les variétés industrielles – mais également à cause d’une demande énorme de travail manuel. Les fruits grands et durs du Libérica doivent être décortiqués à la main, un par un. Ces perles rares forment trois unions différentes avec le chocolat dans la gamme « Loucouras ». Trois mariages, trois histoires. La première commence en harmonie mais laisse le chocolat dominer à la fin. La deuxième est construite sur une parité absolue et finalement, la dernière, après avoir débuté par la force du chocolat, fait triompher le café à la fin. C’est comme dans la vie, n’est ce pas ?
Savez-vous que la couleur noire du chocolat au pourcentage élevé de cacao, n’a rien à voir avec ceci ? – Cette couleur dite « noire » est donnée par les fèves trop torréfiées, autrement dit, brûlées. J’ai vu et goûté le chocolat 100% cacao de Claudio Corallo. Il n’a rien de noir. Son goût a beaucoup de caractère, assez fort, inhabituel pour notre palais habitué à la production industrielle mais n’est pas amer. Je dirais même qu’il est parfait et ne demande aucun accompagnement. On le déguste tout seul.
Après une dégustation enrichissante dans tous les sens du terme, nous sommes sortis, heureux et égayés, avec trois boîtes dont une boîte de fèves torréfiées (j’ai été conquise par leur goût et par des vertus annoncées) et un mastodonte de 400g « d’Ubric gold 6 » (cette taille n’est pas disponible sur le site officiel ; on ne le trouve qu’en boutique sur place).
Cette merveille n’est rien d’autre que du raisin macéré pendant trois mois dans un mélange des distillats de pulpe de fruit de cacao (un truc blanc qui fixe les fèves) et des raisins muscats enrobés par un chocolat à 70%. Par ailleurs, nous avons délibérés que le degré d’alcool est digne du calva « Maison Ch.arpentierer », version originale, non adaptée 🙂 . Bref, un carré bien épais de 3 x 3 cm remplace le digestif. La tablette, quant à elle, a affiché une vitesse de consommation sans précédant. Je réfléchis sérieusement à la recommander (j’ai des sources personnelles dont le nom est secret) car chez le distributeur français, ce chocolat est absent. Il a été bu peut être.
Les fèves du cacao contiennent de la théobromine (C7H8N4O2 !) et sont des antidépresseurs naturels. Riches en Mg, ils aident à combattre le stress et la fatigue ainsi qu’à améliorer le sommeil. Les flavonoïdes, présentes en grande quantité, participent à la lutte contre les maladies inflammatoires et les troubles immunitaires. Crues, elles favorisent le flux sanguin cérébral, baissent la tension artérielle et, chouette, brûlent les graisses!
La visite est très émotionnelle. La fabrique n’a rien d’industriel plutôt artisanale. C’est un ensemble de bâtiments de plein pied en majorité en bois. Vous laissez les chaussures avant d’y rentrer comme si vous rentrez dans un sanctuaire. C’est lié sans doute avec l’hygiène mais je préfère penser que c’est un signe de respect. Vous rentrez à l’intérieur – l’odeur boisée, chaude, âpre avec un soupçon d’amertume vous envoûte et vous fait voyager. C’est le parfum authentique du vrai chocolat.
P.S. J’ai été si absorbée par la dégustation que n’ai pas pris une seule photo. Ça fait travailler l’imagination n’est ce pas ?
P.P.S La fabrique se situe sur la route depuis l’aéroport en direction du centre ville, à droite. Les plantations de cacao sont à Principe qui est à 135 km au nord de Sao-Tomé. Une petite île de 19 km de long et 15 km de large. Sauvage, avec peu d’infrastructure et un tourisme tout à fait différent. On va dire authentique. On peut s’y rendre en avion. – Et par la mer ? – demandons-nous – Si vous avez de la chance, comptez quelques semaines en pirogue motorisée…. Bon, je vais réfléchir avant d’y aller.