La cause numéro 2: La paresse d’esprit et du corps, la nonchalance.
Tout le monde le sait, tout le monde le pense. On en discute tous à voix basse entre nous par peur d’être incriminé de racisme, de discrimination et je ne sais pas de quoi. En réalité ça ne change rien, on a ce qu’on a.
Les Gabonais sont paresseux ! Ils ne veulent pas travailler ! – disent à l’unisson les ressortissants des autres pays africains à qui se joint le chœur des expatriés. Et vous savez quoi ? – ils le disent eux même. Quand je suis arrivée au Gabon, Mayes, Gabonais de souche et pur sang fang (l’une des ethnies la plus nombreuse), m’a donné une caractéristique succincte du Gabonais de base: « les Gabonais sont paresseux, ils préfèrent travailler dans un bureau, diriger et faire de la politique ». Ah! C’est très autocritique,- pensai-je sans trop y croire. Néanmoins c’est vrai, même si certains disent que ça change. Une journaliste m’a raconté récemment que l’idée du travail comme fonctionnaire, au bureau, du travail « propre » sans trop d’effort physique, a été cultivée depuis des décennies par le pouvoir, d’où le mépris pour un travail qui demande des efforts physiques ou de l’endurance. Dans le secteur tertiaire, il y a beaucoup de structures intermédiaires qui vivent sur commission perçue. Entre 90% et 95% de la nourriture et des marchandises de grande consommation sont importées de France, Afrique du Sud, Cameroun et d’autres pays africains ou non. L’industrie est quasi inexistante et le passé colonial n’y est pour rien, croyez-moi. Par rapport à ses voisins, le Gabon a la chance d’avoir une petite taille, une population peu nombreuse, des ressources abondantes et variées (pétrole, manganèse, diamant, or, fer.. .) sans parler du bois, la richesse naturelle (13 parcs nationaux), d’un climat constant et d’une terre fertile. Malgré ce fait, des Sénégalais et Maliens se placent en restauration et petits commerces, la pêche traditionnelle est partagée entre Nigériens et Béninois. La construction et tout ce qui touche l’aménagement, la décoration de la maison sont dans les mains des Libanais, sans oublier les Chinois, bien sûr. Leur petite main habile est visible à tous les niveaux. Bref, qu’il s’agisse de travail physique, de travail pénible ou de travail qui demande des efforts, quatre fois sur cinq vous allez tomber sur un ressortissant des pays voisins – Sénégal, Bénin, Côte-d’Ivoire, Cameroun, les deux Congo et ainsi de suite. J’ai développé même un jeu statistique. Chaque fois, quand je prends le taxi (c’est un transport public ici), je demande l’origine du chauffeur. Les trois derniers étaient du Cameroun, Togo et Congo. Jusqu’à aujourd’hui (7 mois au total) j’en eu un (!) Gabonais. J’aime bien d’ailleurs papoter avec eux. Ce sont mes informateurs secrets :). C’est paradoxal mais les Gabonais veulent tout faire avec les mains des autres :
– Madame ! – crient des jeunes hommes. Ils passent leurs journées sur un faux parking et essaient d’obtenir de l’argent contre ouverture de la portière. – Nous en avons marre de notre Président ! Nous ne l’avons pas élu ! Il faut que l’armée française vienne et mette de l’ordre dans tout ça !
– C’est votre pays. C’est à vous de régler vos problèmes. – je réponds et cette réponse est mal prise.
On est tous paresseux dans un sens ou dans un autre, je dirais même que la lutte contre la paresse fait avancer le progrès :), mais le Gabon – c’est un cas à part. Et encore ! Une fois dans leur élément – le bureau, la perception du travail est relative. Faire « ici et maintenant » n’existe pratiquement pas. Pire, la case « enregistrer » est absente – il faut recommencer à chaque fois. A propos, ce mot-sauveur qui s’appelle « déléguer », vous l’oubliez. Ici déléguer égale oublier. C’est très gai pour un responsable. Il faut contrôler, il faut vérifier chaque pas à tous les niveaux. Vous répétez, vous rappelez tous les demandes des plus banales, comme accrocher un porte-clés, jusqu’aux plus complexes – organiser un rendez-vous, sortir une facture, etc. Le moindre pépin bloque le processus. Vous êtes confronté à zéro d’anticipation, à l’absence de réflexion quelconque, au manque de rigueur et souvent de conscience professionnelle.
– Monsieur, je ne peux pas vous mentir. Je suis plein (il est ivre) – vous avoue, le cœur ouvert, votre employé le matin, le jour même où vous entamez un projet important dont vous avez discuté ensemble pendant les deux dernières semaines…
– Monsieur ! Ça bouchonne ! On rentre! – vous informe, l’autre jour votre équipe, partie à l’installation. Dix minutes plus tard, vous recevez un appel du client concerné qui est bien arrivé sur place et vous demande, – Ils sont où vos gars ?
Ils me parlent souvent « d’Hakuna Matata » – une expression africaine, je dirai une philosophie, qui consiste à prendre la vie comme elle est, sans trop se préoccuper des choses, autrement dit, relativiser tout. C’est génial dans notre monde d’aujourd’hui, où tout le monde court dans tous les sens pour faire plus, plus vite. Mais, appliqué au travail à 100%, c’est moins réjouissant. Vous employez quelqu’un avec un salaire de 300 euros (le salaire moyen au Gabon est entre 230 et 450 euros). Un beau matin ce quelqu’un ne se présente pas au travail :
– Allô! Vous êtes où ?
– Je suis chez moi.
– ??? … Nous avons une installation aujourd’hui ! Vous devez être là !
– En effet, j’ai déjà gagné suffisamment. Je n’ai plus besoin de travailler ce mois. – Eh oui, qu’est ce que vous pouvez y répondre. Il a raison. Le gars a calculé que travailler 20 jours par mois lui suffira. Il n’a pas besoin de plus. Un contrat ? Les obligations ? – « Hakuna Matata » !
Cette philosophie de court terme, certes préserve la santé et je suis même persuadée que grâce à elle le « zen » prolifère et prospère comme la jungle équatoriale – luxuriante et impénétrable mais, en même temps, elle ne permet pas de créer la richesse à long terme, de construire des relations fiables au travail et, en fin de compte, de sortir de la galère éternelle. Je suis d’accord, j’exagère peut être car les raisons sont plus nombreuses et complexes. Toutefois je pense qu’elle y est pour quelque-chose.
On dit que l’expression « Hakuna Matata » vient de la langue swahili (Tanzanie, Kenya) et signifie selon les uns « aucun souci ». Selon les autres elle a une connotation rassurante et aide à conclure le marché – « tout va bien », « pas de problème », « ça marche ». D’après mon expérience, on la décrit comme une sorte d’attitude, une façon de prendre le cours de la vie sans inquiétude.
Vous vous souvenez de la perception du temps? On l’ajoute à tout ce qui a été dit ci-dessus et voilà une crise de nerfs. C’est le «zen » qui à ancré ses racines dans votre plexus. La dernière fois mon responsable a craqué : « En Europe de l’Est ils travaillent dix fois mieux que vous pour un salaire de 300 euros ! » Les petites mains dans son bureau ont des salaires 4 fois supérieurs. A vrai dire, c’est plutôt une particularité et ce n’est pas un cas généralisé.
Pour résumer, les compétences ne sont pas toujours au rendez-vous. Dans le secteur privé, les entreprises survivent grâce au long et coûteux processus de tri – de recherche et de licenciement – jusqu’à ce qu’ils trouvent un candidat convenable. Ceux qui n’en ont pas le temps bossent pour trois. Il m’arrive de penser si la quantité des cheveux gris de mon interlocuteur signifie qu’il a un beau «zen » à l’intérieur de lui ? – 30 ans en Afrique sur le poste de directeur! A mon niveau et à ce stade j’arrose le « zen » de mon précieux avec un gin-tonic le soir venu.
Grâce aux revenus pétroliers, le PIB par habitant au Gabon est les plus élevé dans la zone de l’Afrique sub-saharienne – 7692,3 USD (2015).
Les dépenses de l’état pour l’éducation représentent 2,7% (2014).
Le taux de l’alphabétisation est de 83,2% – taux le plus élevé par rapport aux pays voisins (Congo(Brazzaville) –79,3%, Cameroun – 75%, RCA -36,8% Tchad -40,2%).Il y a un manque considérable d’établissements publics scolaires au Gabon. Rien qu’à Libreville la quantité des écoles reste inchangée depuis 50 ans. Chaque classe compte en moyenne 110-120 élèves. Leur nombre peut atteindre 150 personnes. (Il vous parle de corriger 600 copies après les cours ?) Faute de place et d’équipement, les élèves sont assis par terre. Les enseignants sont surmenés et mal payés (500-600 euros). Ils sont souvent en grève. Depuis le début de l’année scolaire 2016- 2017, il y a eu un peu plus que 2 mois de cours au total. Nous habitons à côté du Lycée d’État. Chaque jour je vois des élèves sur la plage à partir de 10h du matin.
Il y a des jours de réactions en chaîne qui balancent à la frontière du cauchemardesque et du comique. Le Syndic change la colonne d’eau dans notre immeuble. Nous sommes prévenus et prêts à vivre l’événement. Les plombiers sont arrivés. Ils ont coupés le tuyau, sans couper l’eau!!!… Vous avez survécu à une mini inondation dans l’appartement fraichement repeint en blanc, avez surmonté le perçage d’un trou dans le plafond et les plaisirs du ménage complet en cuisine pour apprendre que les conduits d’eau sont bouchés par la rouille et que l’eau ne coule pas partout. Rien de grave. Un truc classique. Manque de pot, vous êtes au 4ème jour de typhoïde (une sorte de bizutage à l’africaine), ce qui veut dire que vous pouvez marcher et même hurler sur les plombiers mais la salle de bain et, pardon, les WC restent les endroits stratégiques de votre survie! Dans ces moments là, il est très difficile de penser au «zen» qui grandit en vous courageusement. Si, par malheur, vous pensez au montant du loyer, votre «zen», choqué, risque de rentrer à l’état d’hibernation, comme une graine de lotus, pour mille ans à venir. Heureusement, l’Univers, préoccupé par votre état, vous a envoyé Frank – faiseur de miracles pour 20 euros (je vous file son numéro si vous voulez. Un bon plombier – ça vaut de l’or en Afrique. Demandez aux Polonais !) Le lendemain matin, couverte de mousse de la tête au pied (une quasi Vénus), vous notez tranquillement que l’eau est coupée. Il est 8h du matin. Votre « zen », faible mais présent, vous propose des solutions dont la plus simple est d’appeler TRANQUILLEMENT votre mari. Son «zen» à lui est plus faible et un peu plus stressé (souvenez-vous il a « le bureau »), c’est pourquoi ce matin il le calme en prenant son petit déjeuner sur la terrasse – les yeux plantés dans l’océan (qui est zen, naturellement), dans les cocotiers (qui s’en fichent) et dans la plage (celle-ci reste indécise). Vous remarquez raisonnablement qu’entre vous deux, il est le plus présentable en ce moment, sinon vous pourrez toujours y aller. « Qu’est-t-il encore arrivé! On ne peut pas être tranquille dans ce pays ! » – s’exclame-t-il et descend chercher le c…, non, pardon, le coupable qui a coupé l’eau sans crier « garde ! » à 8 h du matin.
En partant au bureau, il me regarde sérieusement dans les yeux : « Ca suffit. On entame la thérapie du couple. On va… non, IL FAUT cultiver le « ZEN ». As-tu compris ? » – il disparait dans l’ascenseur.
Ainsi je me retrouve assise sur la terrasse en réfléchissant au sujet de la culture du « zen » – arrosage, nourriture, maintien en vie, etc… Ce n’est pas une mince affaire. Et si on apprenait des locaux, ah ? Est-il inné chez eux ? Est-il acquis comme une réaction à la vie ? – Ils sont joyeux et tout le temps souriants, une blague au bout de la langue. Ils murmurent une chanson très souvent et ne ratent pas l’occasion de trémousser les fesses sous un rythme du moment. Ils ne font pas de plan, ils vivent au jour le jour, sans hâte, inquiétude, en prenant les choses comme elles viennent – HAKUNA MATATA…
Le zen, présent et enraciné, s’apprête à sortir sa première pousse. Et si je vous raconte comment sont les Africain(e)s sous l’angle de mon zen naissant? Comment l’Afrique vous envoûte, vous séduit et vous conquiert? Un vaste sujet dont je ne connais pas encore des détails. Ils sont à vivre.