A vrai dire, nous sortons rarement au restaurant à Libreville (les soirées-cocktail font l’exception) et selon la bonne vieille tradition française, festoyions à la maison. Des soirées apéro ou des dîners thématiques se passent au sein de notre terrasse également. Cette habitude préserve nos estomacs des troubles indésirables et sauve le budget familial, compte tenu des prix locaux peu amicaux. Il y a des moments, mes services culinaires demandent des RTT avec menace d’entamer une grève sans terme. Dans ce cas, le restaurant devient incontournable. Même si nous sommes gâtés par les poissons et crustacés locaux – charnus, gros, délicieux et bon marché – nos racines carnivores exigent de la viande ! Le cerveau, en complot avec l’estomac, mais en plus intelligent, ajoute « de la viande « made in Gabon », si possible. On soutient la production locale, je vous signale ». Avant de soutenir quoi qu’il soit, il faut que ça existe. Dans le cas présent, c’est facile – il y en a un ! C’est pourquoi, une des soirées chaudes et humides, nous avons atterri chez « Jacky Cochon ».
Son restaurant, avec la boucherie à côté, jouxte modestement la prison de la ville. Jacky est une personnalité. Tout le monde le connaît. Eleveur de porcs et restaurateur par intérim, il a commencé sa carrière comme ingénieur-programmiste. Ah, la vie ! Toujours en proie à des surprises.
– Mais pourquoi des cochons, Jacky ? et au Gabon ?!
– Ma mère est Gabonaise. Mon père, professeur de français, tenait une petite ferme pour, soit disant, la contemplation et l’observation (autrement dit, son papa méditait sur les poules, cochons et autre petit bétail, après avoir seriné la langue de Molière dans les jeunes têtes rêveuses). Deux fois par an – au Réveillon et à la fin de l’année scolaire – nous abattions un porcelet pour faire la fête. C’est comme ça que j’ai pris l’habitude de m’occuper des bêtes.
Aujourd’hui Jacky possède un modeste élevage, aux environs d’Owendo, qui ravitaille sa petite boucherie, deux restaurants et deux-trois petites bricoles :))). Je n’y suis pas allée mais, vu le produit final exposé grandeur nature dans la vitrine du magasin, il n’est pas comparable avec cochon ukrainien – l’objet incontournable de la fierté nationale*. Même pour mon imagination débordante, il est difficile d’imaginer l’élevage porcin dans la jungle, sans parler de la fabrication du jambon et des saucissons dans les conditions d’un climat très humide et chaud. Cependant, Jacky réussit, pour preuve la «jalousie » grandissante de la part des autorités locales et des adeptes du vaudou… Eh, oui… Mais bon, laissons l’élevage de côté et chaman-chaman pour le vaudou. Nous sommes venus pour manger. Cette idée incongrue, vu les tables vides du restaurant, est venue uniquement dans nos têtes ce soir-là. – C’est la crise. Les gens ne sortent plus. C’est difficile pour tout le monde. – explique Jacky. – Zut ! La cuisine n’est pas bonne ! – suivant une astuce bien française pensais-je. D’autre côté, on peut choisir la table à notre guise sans avoir un maître d’hôtel dans les pieds qui, avec un sourire sucré et bien appris, vous mettra dans un coin entre la cuisine et les toilettes.
*Le porc et la viande de porc sont le produit de prédilection en Ukraine. Il est au centre de la cuisine ukrainienne. L’art de faire (d’élever) un bon lard est comparable à la compétition entre les Français pour faire le meilleur foie-gras, en moins sophistiqué bien évidement. Les ukrainiens bichonnent leur porcelets en les nourrissant de lait, de bons légumes et de quelque-chose de secret pour obtenir une viande tendre et un lard bien persillé.
Les verres- boules, les nappes en carré de Vichy, le bar qui vous fait un clin d’œil amical, un bon vieux jazz, le regard combatif et sombre de Rasta Baby. Là je dois dire que Jacky chérit non seulement ses cochons, il est aussi le fan fidèle de Bob Marley. Ça saute aux yeux dès qu’on le voit. Les témoignages de sa passion sont présents partout dans le restaurant. Chaque année Jacky fête l’anniversaire de son idole (le 6 février) et cette fête est légendaire… Bon, la légende, c’est intéressant sauf que peu nourrissante. L’estomac et le cerveau, toujours en complot, commencent à échanger des pulsions : « A propos de cuisine, est-elle en marche ? » La cuisine et le chef étaient bien sur place. Nous avons eu le privilège, nombre restreint oblige, du service et menu table d’hôte.
L’apéritif « Tsunami » – un mélange gentil de Campari, de Suze et de Crème de cassis – est apparu en premier afin de calmer l’inquiétude du couple « cerveau-estomac ». L’entrée sous un nom prometteur « niama-niama » s’est matérialisée ensuite.
La compagnie heureuse de boudin noir à la créole, jambon maison, pâté de tête et cornichons, assistera à la dégustation d’une bouteille de bordeaux, qui, à son tour, fût consciencieusement vidée sous un accompagnement de côtelettes de porcelet avec des pommes-de-terre cuites au four et des légumes grillés.
Nous refusons poliment le dessert mais cédons devant la proposition de goûter une compote de mangue aux épices faite maison, bien évidemment. Jacky, une âme généreuse, entreprit une tentative d’assassinat avec un digestif aux pouvoirs magiques à base de plantes locales (fait maison etc) mais l’estomac et le cerveau, en connaissance de cause, ont sorti la note de protestation sans attendre. Et voilà, la fin du voyage dans la cuisine simple, bonne et sans chichi, avec une addition qui frôle le restaurant gastronomique. Eh bah..! – s’est étonné le cerveau. – Allez, on a passé une bonne soirée en compagnie de Jacky. Ça n’a pas de prix… en quelque sorte, – remarque l’estomac en bon ami. Bien heureux, nous nous roulons à la maison.
Rasta ou rastafari – est un mouvement à la fois religieux et culturel qui est apparu dans l’île de la Jamaïque dans les années 30s. Bob Marley a été son adepte et popularisateur le plus connu.
Le point de départ de ce mouvement était le couronnement du dernier empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié I-er qui prétendait d’être le descendant de Salomon. Le mot « Rasta » ou « rastafari » provient de son nom porté avant le sacre – Ras Tafari Mekonnen.
Ce mouvement prône le rapprochement aux racines et culture africaines, la restauration de la fierté et de la dignité de l’homme noir, par son détachement de la culture coloniale et occidentale. Les Rastas croient que les Africains sont les descendants des tribus d’Israël, plus précisément du fils du roi Salomon et de la reine de Saba – Ménélik, qui fonda une nouvelle dynastie en Ethiopie – la nouvelle terre promise (les couleurs rouge-jaune- verte du mouvement reprennent les couleurs du drapeau éthiopien). Les Rastafari rejettent le monde matériel et l’argent. Ils ne boivent pas d’alcool, sont végétariens et ne se coupent pas les cheveux et la barbe (d’où les dreads). Ils fument de la marijuana pour s’approcher de Dieu. A ce jour le mouvement compte un millions d’adeptes.